C'est en 1976 qu'en raison du réchauffement climatique, le printemps – pas celui du calendrier mais celui des arbres et des fleurs – a commencé à arriver un chouïa plus tôt chaque année. En moyenne, ce glissement n'est, pour le moment, que de l'ordre de deux ou trois jours. Il est néanmoins important de se projeter dans le futur et de pouvoir prédire la réponse des plantes à la hausse accélérée des températures annoncée par les climatologues durant ce siècle. Important voire crucial car les modifications de l'« horloge interne » des végétaux ont des effets sur le reste de la chaîne alimentaire, sur l'efficacité de la pollinisation, sur l'agriculture, etc. Il se peut par exemple que les arbres fruitiers et leurs pollinisateurs ne soient plus synchronisés.

C'est pour cette raison que les écologues, depuis une vingtaine d'années, mènent des rechauffement plante1expériences grandeur nature dans lesquelles ils simulent, de manière artificielle et à petite échelle, le réchauffement à venir sur des communautés de plantes (voir un exemple ici et un autre là). Pour ce faire, ils modifient différents paramètres comme la température ou le taux de dioxyde de carbone, parfois pendant plusieurs années. Toute la question est de savoir si ces expérimentations, confinées, donnent des résultats fiables, si elles prédisent correctement la réponse des plantes aux changements de leur environnement. Les seules tentatives de confrontation entre la réponse induite artificiellement et celle que l'on observe dans la nature n'ont été faites que de manière ponctuelle. Dans une étude publiée par Nature le 2 mai, une équipe internationale rassemblant une vingtaine de chercheurs a vérifié si, à grande échelle spatio-temporelle, les simulations correspondaient à ce que l'on a noté sur le terrain au cours des décennies voire des siècles.

Et la réponse est non, les simulations ne sont pas vraiment fiables. Non pas parce qu'elles exagèrent ou caricaturent la réponse des plantes au réchauffement mais parce qu'elles... la sous-estiment. En réalité, la floraison et la feuillaison sont et seront nettement plus précoces que ce que les expériences ont prévu. Pour le déterminer, les chercheurs ont comparé les résultats de ces dernières avec les relevés que des botanistes ont effectués dans de nombreux sites d'Amérique du Nord et d'Europe. Il s'agit d'observationsrechauffement plante2 consacrées à la phénologie de plus de 1 500 espèces de plantes, c'est-à-dire à l'étude de leurs phases saisonnières et notamment des dates de floraison, feuillaison, fructification, etc. Plusieurs séries de données remontent au XIXe siècle et la plus vieille, qui a pour théâtre le centre de l'Angleterre, porte sur la période 1739-1810. Qu'elles soient anciennes ou non, ces mesures au long cours permettent d'évaluer la réponse des plantes aux variations interannuelles de température. Evidemment, les séries les plus récentes offrent l'occasion de constater la manière dont les plantes en question ont déjà réagi au réchauffement climatique. L'analyse de toutes ces données a montré qu'en moyenne, une hausse de température de 1°C se traduit par une floraison et une feuillaison plus précoces de cinq jours, soit, dans les deux cas, nettement plus que ce que disaient les expériences.

Selon les auteurs de l'étude, la cause de cette différence est probablement à chercher dans les protocoles expérimentaux eux-mêmes. Augmenter artificiellement la température d'un petit bout de terrain présente des effets secondaires : les dispositifs employés (abris, lampes à infra-rouges, câbles chauffants...) risquent d'avoir des conséquences indésirables comme la diminution de la lumière reçue ou un assèchement du sol, ce qui peut ralentir le développement des plantes. Les "chambres de réchauffement" peuvent aussi ne pas restituer correctement les variations quotidiennes ou saisonnières de température auxquelles les plantes sont sensibles. Il est également possible que lesdites chambres confèrent moins d'énergie que prévu aux plantes, en raison du vent par exemple. Enfin, même si elles durent quelques années, ces expériences n'offrent pas forcément un recul suffisant pour saisir des changements en profondeur, comme des variations génétiques des plantes ou des modifications de la composition des écosystèmes.

Pour le climatologue Benjamin Cook (NASA Goddard Institute for Space Studies /Lamont-Doherty Earth Observatory), co-auteur de l'étude, "ces résultats sont importants parce que nous nous reposons beaucoup sur ces expériences pour prédire ce qui arrivera aux écosystèmes dans le futur". Il faut donc désormais comprendre pourquoi ils sous-estiment la réponse des plantes à la hausse des températures et mettre au point des protocoles plus fiables. L'article de Nature vient aussi rappeler que les végétaux sont très réactifs à leur environnement. Si, comme le disent plusieurs modèles, le réchauffement climatique dépasse les 2°C à la fin du siècle, cela signifiera un décalage de floraison et de feuillaison de plus de dix jours. Il n'est pas sûr que les pollinisateurs ainsi que tous les animaux qui vivent des productions végétales parviennent à suivre le rythme. Par ailleurs, la réaction des plantes n'est pas que temporelle, elle est aussi spatiale. Les plantes remontent. En latitude et en altitude, à la recherche des conditions climatiques auxquelles elles sont "habituées". Mais celles-ci sont loin d'exister partout. Une autre étude internationale, parue ce dimanche 6 mai dans Nature Climate Change, estime que la flore alpine verra son habitat réduit de moitié à la fin du siècle.


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